L’âge de la sobriété

« Jamais sans doute dans l’histoire, le thème du progrès n’a à ce point interrogé l’humanité dans son ensemble et l’humanité propre à chaque individu » 

— Étienne Klein, Sauvons le Progrès, dialogue avec Denis Lafay, éditions de l’Aube, 2017

Le terme low-tech est apparu dans les années 1960 – 1970, en opposition à l’high-tech et peut se traduire par basse technologie ou encore par la sobriété. Il provient de travaux contemporains à la fin du XX° siècle et s’inscrit dans un débat plus large sur les notions de progrès, de décroissance.

La critique de l’innovation n’est pas une idée neuve

En occident, jusqu’à la Révolution industrielle, l’innovation était considérée avec suspicion soulignent Liliane Hilaire-Pérez et Catherine Verna dans « Histoire économique et histoire des techniques ». Le changement de regard s’est opéré avec l’essor des mouvements marxistes qui voyaient dans la machine une force de progrès corrélée à la croissance économique. Il faudra attendre l’Après-Guerre pour voir de nouveau réémerger une pensée critique de l’innovation. [1]

Les Grecs étaient davantage attachés à la stabilité du monde et considéraient l’évolution comme synonyme de décadence (François Jarrige , 2014)[3] . Cet héritage du stoïcisme grec s’est poursuivi jusqu’au Moyen Âge, même si les progrès technique existaient avec la diffusion du moulin, la création de la boussole, l’invention de la poudre…), l’innovation « mettait en danger l’équilibre économique, social et mental » précise l’historien médiéviste Jacques Le Goff[2]. Les mentalités imprégnées de religion, influençaient l’économie médiévale et considéraient que tout calcul visant à dépasser l’état de subsistance était un péché de démesure. Dès la fin du XIIIe siècle, on voit apparaitre à l’instar du secteur de la sidérurgie qui fragilise le couvert forestier par la consommation de bois induite, l’organisation d’un maillage de gardes forestiers, d’une culture raisonnée de la forêt et des ressources.

Parmi les contemporains de la Révolution industrielle, la sobriété eu d’illustres défenseurs sur tous les continents.

Conscient que l’homme peut être asservi Jean-Jacques Rousseau, en précurseur du principe de précaution, prônait une éthique pour se protéger du progrès sans pour autant l’étouffer. Le socialiste anglais William Morris (1834−1896), plaidait pour un retour de l’esprit des temps médiévaux en formant les ouvriers à devenir des artisans d’art. En 1840, l’historien Jules Michelet (1798 – 1874) utilisait pour la première fois le terme machinisme comme synonyme de misère ouvrière. Les poètes et romanciers Benjamin Constant ou Stendhal dénonçaient l’industrialisme comme menaçant pour la liberté. Lord Byron était convaincu que nous ne devons « pas souffrir que le genre humain soit sacrifié au perfectionnement des mécaniques ». Pour Charles Baudelaire le progrès n’était qu’une « idée grotesque qui jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance ». Même Jules Verne, dénonçait dans son roman posthume Paris au XXe siècle les dérives d’une société technicienne et capitaliste. De l’autre côté de l’atlantique le philosophe naturaliste et poète américain Henry David Thoreau (-) considérait que « les hommes [étaient] devenus les outils de leurs outils ».

En France, au début du XX°, Georges Bernanos (1888−1948) a été un des premiers à signer de violentes charges contre la technique. La France contre les robots est un essai constitué de plusieurs textes publié en 1947. Il y conteste l’idée selon laquelle le progrès conduirait automatiquement au bonheur de l’humanité, mais y voit les conditions de l’aliénation, un homme réduit à un animal économique, dépourvu de toute vie intérieure  — « Le danger n’est pas dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d’hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner » — « un monde de l’uniformisation » — « une société d’êtres non pas égaux, mais pareils » — « une tyrannie du nombre » — « La Civilisation des machines est la civilisation de la quantité opposée à celle de la qualité. »

Avec l’euphorie des Trente Glorieuses, les voix critiques du progrès technique sont restées peu audibles aux publics acquis aux idéaux progressistes du XX ème siècle, la plupart des thèses ont été publiées à partir de 1972 avec l’éclairage du Rapport Meadows (Les Limites à la croissance, dans un monde fini  — The Limits to Growth) devenu depuis une des références des débats et critiques sur les conséquences écologiques de la croissance économique et industrielle avec la limitation des ressources.

Chez Jacques Ellul (19912- 1994), une grande partie de ses travaux ont interrogé la sacralisation de la société technicienne  « […] La non-puissance, c’est pouvoir et ne pas vouloir le faire. C’est choisir de ne pas faire. Choisir de ne pas exercer de domination, d’efficacité, choisir de ne pas se lancer dans la réussite. » —Théologie et technique. Pour une éthique de la non-puissance (compilation d’articles écrits à la fin des années 1970). 

La même année, dans le second tome de son ouvrage Le mythe de la machine (1970), Lewis Mumford (1895 – 1990) développait la notion de biotechnique pour désigner des techniques bioviables, qualifiées aujourd’hui d’écologiquement responsables.

Ernst Friedrich « Fritz » Schumacher (1911−1977), économiste britannique a utilisé le concept de technologie intermédiaire ou de niveau moyen dans son ouvrage Small is beautiful de 1973.

De son côté, le philosophe autrichien Ivan Illich (1926−2002) a théorisé dans La convivialité (1973)  le concept de contre-productivité des techniques et des organisations, à savoir l’idée qu’au-delà d’un certain seuil de puissance un outil technique finit forcément par être destructeur, et développait une réflexion d’une société conviviale, c’est-à-dire une société qui saurait rester en deçà des seuils définis : « Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil. »

à compléter décroissance…


[1] [2] Liliane Hilaire-Pérez et Catherine Verna, « Histoire économique et histoire des techniques (xve-xviiie siècle)» [En ligne], 4 | 2016, mis en ligne le 07 juillet 2017, consulté le 09 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/artefact/292 ; DOI : https://doi.org/10.4000/artefact.292

[3] François Jarrige, « Technocritiques ; du refus des machines à la contestation des technosciences », La Découverte, 2014. EAN : 9782707178237